Comment un médicament des plus innovants, le Glybera, qui annonçait les débuts de la thérapie génique, et dont l’efficacité à permis de venir à bout d’une pathologie lourde, a-t-il finalement échoué à son lancement ?
Avant d’aller plus loin, rappelons ici le principe de la thérapie génique : il s’agit, d’insérer des gènes correctifs (ADN sain) dans les cellules pour réparer les gènes déficients à l’origine de pathologies. La thérapie génique a pour avantage de guérir le patient à vie : les effets du traitement ne sont pas provisoires.
Glybera est un médicament développé par la biotech hollandaise UNIQURE en partenariat avec le laboratoire Chiesi (Italie). Ce médicament a été développé pour une indication étroite, à savoir les patients atteints d’un déficit familial de lipoprotéines Lipase, une maladie génétique orpheline touchant 150 à 200 personnes en Europe. Les effets de cette pathologie sont fortement handicapants et douloureux : l’impossible dégradation des triglycérides entraîne une accumulation de graisse dans le sang des patients, à l’origine de diverses manifestations cliniques (pancréatites aigües).
Une cinquantaine d’injections sont nécessaires par patient en fonction du poids de ce dernier. En moyenne, pour un patient de 70 kg, le coût du traitement est de 1,2 million d’Euros, ce qui fait du Glybera le médicament le plus cher de la planète, à tout le moins l’année de son lancement en 2012.
Outre le prix ayant entraîné une vague de réprobations de la part de l’opinion publique, la prescription du Glybera s’est assortie de complications administratives fortes. Le docteur berlinois Elisabeth Steinhagen-Thiessen a ainsi été contraint de remplir une documentation « plus épaisse qu’une thèse » pour l’administrer à une patiente. Quant au coût astronomique du traitement, il a finalement été pris en charge par l’assureur allemand DAK.
Conséquence du prix prohibitifs et des difficultés de prescriptions, Glybera n’a été administré qu’une seule et unique fois en Allemagne… pour un résultat dépassant pourtant les espérances, avec une guérison à 100%… à vie !
Que nous apprend l’histoire de Glybera en matière de vente ?
- Une technologie innovante ne justifie pas à elle seule le prix : plus que tout autre, le secteur pharmaceutique est soumis à des contraintes éthiques fortes, en raison du statut particulier des médicaments, qui ne sont pas des produits comme les autres. La question « Existe-t-il un juste prix du médicament ? », est un débat classique fréquemment soulevé dans le domaine public. La fixation des prix doit résulter d’une réflexion prenant en compte le coût de la recherche, le coût des effets de la pathologie (soit les traitements à suivre sans recourir au Glybera – pour le cas de l’unique patiente soignée, cela correspondait au coût de 40 hospitalisations). Une fois pris en compte ces éléments, reste encore à étudier le « prix social » accepté par l’opinion publique et les gouvernements.
- La réputation est vite entachée : ne pas prendre en compte le « prix social » menace la communication et l’image de marque. En ce qui concerne le Glybera, celui-ci a été simplement perçu comme « le médicament à 1 million de dollars », alors que sa technologie révolutionnaire marquait un tournant pour la recherche et la prise en charge des patients. Sans parler de thérapie génique et du Glybera, d’autres remèdes (à titre d’exemple, contre l’hépatite C), ont soulevé en 2018 de vives protestations en raison de leur prix de commercialisation.
- Il faut compter avec l’ensemble des parties prenantes : pour le domaine pharmaceutique, les systèmes de santé nationaux sont clefs, surtout dans des contextes de restriction budgétaire et de limitation des dépenses de santé. De manière générale, les systèmes de santé actuels ne sont pas adaptés à la prise en charge de médicaments comme ceux de la thérapie génique. La France a pour sa part déclaré que jamais elle ne paierait le Glybera ; l’Allemagne, que ses bénéfices n’étaient pas quantifiables. La complexité de prescription (et plus généralement, de diffusion d’un produit) du Glybera a ainsi constitué un réel frein, avec la nécessité de faire du cas par cas pour les remboursements.
- Les marchés qu’on estimait peu profitables peuvent le devenir à la faveur d’un changement réglementaire : c’est le cas des maladies orphelines, avec des incitations fortes pour inciter les laboratoires à se positionner sur ce type de pathologies. A titre d’exemple, les laboratoires bénéficient de l’exclusivité des droits de commercialisation pour 10 ans sur les médicaments dédiés aux maladies orphelines. Ces dernières ont cependant été pendant longtemps les pathologies « mal aimées » des laboratoires, en raison du nombre de patients trop réduit, et des coûts significatifs de R&D qui y étaient corrélés.