Le 100ème lancement d’Ariane 5 depuis la base de Kourou (Guyane), le 25 septembre 2018, positionne la fusée européenne comme un chantre de fiabilité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et résument cet immense succès commercial : en service depuis 1996, Ariane a mené avec succès 95% de ses lancements. Des performances qui assoient de manière évidente la crédibilité du lanceur lourd, ainsi que l’engagement des équipes managériales et sur le terrain.
Pourtant, les jours d’Ariane 5 sont comptés, avec des lancements prévus jusqu’à mi-2020. Pourquoi Ariane 5, dont la place dominante sur le marché permettait aux européens de s’enorgueillir, est-elle ainsi remise en question ?
La pression concurrentielle (avec à titre d’exemple, Blue Origin ou encore l’entreprise SpaceX d’Elon Munsk, soutenue par la NASA et l’US Air Force afin de casser les prix) questionne la compétitivité du lanceur européen dans un contexte de déséquilibre réglementaire. En effet, si l’Europe favorise une approche libérale, avec la possibilité de faire appel à la concurrence en matière de tirs institutionnels, certains pays comme les Etats-Unis et la Chine ont pour leur part l’obligation d’utiliser leur fusée nationale.
A ce titre, Ariane 5 doit faire face à une double difficulté : d’une part, des marchés américains et chinois captifs, et d’autre part, un marché européen ouvert. Un tel défi ne peut être relevé qu’avec l’engagement et l’ingéniosité des équipes, dont les résultats sont d’ores et déjà significatifs : Ariane 6 sera près de 40% à 50% moins chère que sa grande sœur, soit une prouesse pour le nouveau lanceur face à des concurrents dont la compétitivité est soutenue artificiellement.
Sans tomber dans l’angélisme – car, en matière de lancements spatiaux, les enjeux de « préférence européenne » sont clefs –, la pression concurrentielle peut néanmoins constituer sur le long terme un levier d’action positif : forçant à l’innovation, à l’ingénuité et à l’adaptabilité, ce contexte permet aux acteurs européens, malgré une posture difficile, de se forcer à une agilité déjà payante en matière de prix. Idem d’un point de vue technique : même si Ariane 6 ne sera pas réutilisable – à l’inverse du Falcon 9 développé par SpaceX – des innovations clefs lui permettront néanmoins de rivaliser avec ses concurrents en matière de lancements « en constellation » (plusieurs satellites par lancement) au moyen d’un moteur cryogénique Vinci.
Nous l’espérons, ces initiatives permettront probablement à Ariane 6 de corriger la trajectoire commerciale de son aïeule, aujourd’hui en difficulté.
Que nous apprend l’histoire d’Ariane 5 en matière de vente ?
- L’injustice existe. Il faut faire avec : les concurrents bénéficiant d’un soutien domestique sont avantagés. Ils restent cependant sous perfusion financière et technique, à un stade non-autonome de développement, qui questionne leur viabilité et leur crédibilité sur le long terme.
- La place de leader est toujours à prendre : l’histoire d’Ariane 5 nous enseigne que la position de leader n’est pas éternelle : la pression concurrentielle, les avancées technologiques, le cadre réglementaire… etc. sont autant de paramètres susceptibles de faire tomber le maillot jaune de son vélo.
- La réussite commerciale est collective : l’ensemble de ces éléments rend compte des capacités européennes à repenser un produit et son offre commerciale pour s’aligner sur des offres plus compétitives, dans un contexte réglementaire défavorable. Ouvrière du succès et de l’innovation, l’ensemble des équipes a su avec succès et de manière résiliente réagir de manière rapide pour proposer des solutions permettant de maintenir l’offre à un niveau de prix, de délais et de technicité.
- Un contexte de marché sous pression permet de raccourcir le temps de réaction, et d’obtenir une meilleure réactivité méthodologique et organisationnelle. A ce titre, les évolutions réalisées concernant les méthodologies de lancement d’Ariane (orientées vers une « optimisation de la production en série » comprenant notamment la standardisation de certains éléments ainsi que la simplification d’un schéma industriel), expliquent également les succès relatifs à l’optimisation des coûts.